Homélie sur Jean 6 vs 37-40 prononcée le mardi 16 octobre 2018, en la Basilique cathédrale de Saint Denis, par le Père Michel Viot, pour la messe anniversaire de la mort de
Marie Antoinette,
Reine de France et de Navarre
Cette extraordinaire promesse de Jésus concernant son don de la vie éternelle s’adresse bien entendu à tous ceux qui croient en Lui. Quel que soit son rang dans la société des hommes, un chrétien sait que seule sa foi au Christ Fils de Dieu le sauvera de la mort éternelle, tout aussi sûrement qu’il sait qu’un jour il mourra. Le poète Malherbe put ainsi écrire :
« La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane,où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos rois. »
Marie Antoinette à la suite de son mari Louis XVI le constatera, avec cette circonstance aggravante que la garde qui veillait sur elle, non plus aux barrières d’un palais, mais à la prison de la Conciergerie, ne déploya son zèle que pour mieux la conduire à l’échaffaud. Certes elle n’était point sacrée comme le furent quelques-unes de nos reines. Mais elle était la femme de Louis XVI, roi sacré, comme elle le rappèlera avec pertinence au cours de son procès.
Un verset de notre évangile doit donc, selon moi, se détacher pour elle. Cette parole de Jésus : « Or la volonté de celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. ». Et parce qu’elle était reine je rajouterai cette autre parole de Jésus que nous méditerons en conclusion : « Je ne suis pas descendu du ciel pour faire, non pas ma propre volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. ».
Jésus ne veut perdre aucun de ceux que son Père lui a donnés. Tous les baptisés sont concernés par ce privilège. Mais ce dernier est très certainement plus visible et plus marquant pour ceux qui, par leur naissance sont appelés par Dieu à l’exercice du pouvoir. « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut. » répondit Jésus à Ponce Pilate, gouverneur païen ! Et il savait qu’il allait le faire crucifier. Aux princes chrétiens, et j’y inclus les princesses, non par souci de parité, mais de justice théologique et historique, Dieu accorde sa Sagesse par l’onction du sacre. Et si une reine, comme ce fut le cas de Marie Antoinette, n’a pas bénéficié personnellement de ce sacramental, elle le partage avec son royal époux par le sacrement du mariage. Formant une seule chair avec lui, elle bénéficie des bienfaits du sacre, non seulement pour elle, mais pour le peuple sur lequel elle règne. Le pouvoir de droit divin est le seul, si l’on y réfléchit bien, qui garantisse à un peuple ses droits et sa liberté. Il est donné d’en haut à ceux qui l’exercent. Ceux-ci ne sauraient donc en aucun cas se prendre pour Dieu. Les princes et princesses chrétiens savent que Dieu se trouve au dessus d’eux et qu’ils seront jugés comme les plus humbles de leurs sujets. Marie Antoinette reçut très tôt cet enseignement fondamental. Appartenant à une famille qui avait cette saine habitude séculaire du règne, les Habsbourg, devenus la génération précédente les Habsbourg-Lorraine, par le mariage de sa mère Marie Thérèse avec le duc François de Lorraine, Marie Antoinette se trouvait dans la position de régner. La seule question était : où et avec qui ? La réponse fut naturellement d’origine politique, car une princesse ne se marie pas d’abord pour être heureuse, comme d’ailleurs c’était le cas des mariages de ce temps. On se mariait pour réunifier des terres, pour sceller la paix, pour améliorer des relations humaines, et aussi pour faire des enfants et perpétuer l’espèce, ce dernier point étant capital pour les princes. Aussi le mariage était-il trop sérieux pour être laissé à l’initiative des jeunes. C’était une affaire de vieux. Les jeunes obtempéraient. S’ils étaient heureux ensuite, c’était une cerise sur le gâteau. Sinon, on se faisait à la situation. Le bonheur conjugal ne faisait pas partie du contrat de mariage. Il y avait des infidélités, bien sûr ! Mais qui peut affirmer, sans rire qu’elles étaient plus nombreuses qu’aujourd’hui, avec nos mariages dits d’amour, inventés par les romantiques ? Certainement pas moi !
Cela dit, ce n’est un secret pour personne que Marie Antoinette ne fut pas heureuse pendant les premières années de sa vie conjugale. Elle en souffrit, ce qui est normal, mais eut la faiblesse de le montrer, ce qui l’est moins pour une princesse, et surtout, fait plus grave, d’en faire porter le poids à son époux, ce qui constitua une faute politique, la seule vraiment grave qui lui fut imputable. Car en ce qui concerne sa déception, elle avait tout de même une excuse. Sa mère, autant adorée que redoutée avait été très heureuse avec son mari, ayant eu le privilège de faire un mariage d’amour. Et de fait elle avait choisi son époux, elle en fut amoureuse jusqu’à la mort de ce dernier, en eut seize enfants, refusa toujours de faire chambre à part, tout en régnant de fait, que son mari soit empereur, ou que son fils Joseph Il le devienne à son tour. Elle demeura toujours l’impératrice. Femme extraordinaire que cette Marie Thérèse ! Elle fut à l’origine du plus étonnant renversement des alliances en Europe, trouvant une vis à vis à sa hauteur en la personne de notre roi Louis XV dont on continue à raconter n’importe quoi à cause de sa vie sentimentale désordonnée. Si ce dernier point est indiscutable, il allait au moins de pair avec une politique intelligente et cohérente, qui savait tenir compte de ses erreurs. C’est tout de même mieux pour les peuples gouvernés que d’avoir des dirigeants désordonnés sentimentalement et politiquement ! Dès 1756 l’alliance franco-autrichienne est conclue. Il va falloir songer à un gage de la paix entre les deux états, et par la même de la paix en Europe, car la France et l’empire d’Autriche sont à eux deux les plus puissants, et catholiques de surcroît. Heureux temps où la paix et l’union européenne ne se concevaient que par l’alliance de nations solides. Cette Europe des patries si chère au général de Gaulle et au chancelier Adenauer, tous deux aussi très catholiques ! Mais revenons à Marie Antoinette, dès 1766, elle est promise au Dauphin de France, le futur Louis XVI, mais elle n’est pas préparée intellectuellement à cela. Sa mère s’en rend compte et se rattrape comme elle peut, elle fait venir un prêtre français l’abbé de Vermond qui restera attaché à Marie Antoinette ; ce qui n’empêchera pas Marie Thérèse de lui donner par écrit des recommandations spirituelles l’obligeant à une grande piété et à se méfier de certaines lectures. Marie Thérèse connaît bien la France, comme bonne souveraine elle est bien renseignée. Et je ne puis m’empêcher de vous livrer ce dernier conseil sur les jésuites que je ne commenterai pas et livre à votre sagacité « Vous devez vous abstenir entièrement de vous expliquer, ni pour, ni contre. ».
La Dauphine suivra tous les conseils de sa mère dès son arrivée en France en 1770, mais comme une jeune fille de 15 ans, n’ayant aucune expérience de la vie, et que sa tendance à la paresse ne lui avait pas donné envie de corriger. Soyons clairs aussi sur ses déboires conjugaux. Son manque total d’éducation sexuelle en est la cause. La lettre de son frère Joseph Il à son frère Léopold est on ne peut plus explicite. Il était venu tout exprès à Versailles pour confesser sa sœur et son beau-frère. Son rapport est si clair que je n’oserai pas le lire dans cet auguste lieu. Voilà les seules fautes de la future reine. Quand elle arriva à ce rang effectivement à 19 ans, elle commença à faire des efforts. A peu près un an après la visite de son frère, en 1778, elle donna naissance à sa première fille qu’elle appela Marie Thérèse, la future Madame Royale. Et elle eut quatre enfants. Elle fut une mère pleine d’attention. La lettre détaillée qu’elle écrivit pour la gouvernante de son deuxième fils dénote une connaissance approfondie d’une mère pleine d’attention pour sa progéniture. Ce n’était pas évident à l’époque.
Elle fut certes plus longue à améliorer ses relations avec son mari. Louis XVI, comme tous les Bourbons était extrêmement bien renseigné et savait le rôle que Vienne voulait faire jouer à sa femme. Il ne voulait pas de principal ministre, il l’avait dit clairement au vieux Maurepas, qui avait parfaitement compris et qui de ce fait demeura ministre jusqu’à sa mort. Marie Antoinette quant à elle, eut la prétention de se mêler de politique ! Lors de l’affaire de la succession bavaroise en 1778, elle essaya d’intervenir auprès du roi en faveur des prétentions de Joseph Il. Louis XVI la rabroua vivement en ces termes « C’est l’ambition de vos parents qui va tout bouleverser ; ils ont commencé par la Pologne, maintenant la Bavière fait le second tome ; j’en suis fâché par rapport à vous. ». Elle fut alors écartée de tout, sauf après l’échec de l’assemblée des notables en 1788, et quand commencèrent les heures sombres de la révolution, dès les journées d’octobre 1789 qui virent l’arrivée forcée du roi et de sa famille aux Tuileries. Mais elle n’intervint que d’une manière intermittente pour aider son mari. Vivant dans son intimité, et véritablement. « Douchée. » par l’affaire du collier en 1785, et les attitudes plus que décevantes d’un entourage qu’elle croyait sûr ou au moins respectueux de l’autorité royale, elle comprit enfin que ce qu’elle prenait pour de la faiblesse chez son mari, n’était en fait qu’un louvoiement astucieux pour essayer d’avancer sur un terrain miné par les trahisons les plus inattendues. Inattendues pour elle, mais pas pour le roi, très bien renseigné par son cabinet noir dirigé par Rigoley d’Ogny intendant général des postes sous Louis XV et Louis XVI. Il faisait ouvrir quelques lettres, opération bien utile dans un pays où la trahison permanente du chef de l’Etat était devenue un sport national pour une certaine élite, travail artisanal à vrai dire…mais le téléphone n’existait pas ! Grâce à la démission du duc de Polignac en 1787, notre intendant devint même directeur général des postes du royaume. Et c’est Marie Antoinette elle-même qui avait demandé à son ami cette démission ! Ayant appris à respecter le roi, elle l’admira et plus les épreuves se firent dures, elle l’aima. Louis XVI convertit sa femme à l’amour conjugal, comme il sut faire de son cher Malesherbes un bon catholique, et même un martyr, à son imitation.
Je n’oublie pas bien sûr le problème Fersen. Qu’ils aient éprouvé l’un pour l’autre une très grande passion, c’est certain. Mais personne n’est en mesure d’affirmer qu’elle se concrétisa dans des actes. Il y a bien sûr une correspondance écrite qui ne prouve qu’une chose : la réalité de sentiments d’amour entre ces deux êtres, l’amour courtois de la chevalerie ancienne, exprimé dans le langage hypersensible de cette fin de 18 -ème siècle. Dans ce domaine Marie Antoinette préfigura le style troubadour qui commencera au tout début du 19 -ème siècle, comme elle avait annoncé l’écologie avec son hameau à Versailles. Imaginer un adultère avec Fersen, équivaudrait à donner suite aux images pornographiques circulant contre la reine et son entourage, et il faudrait ajouter d’autres personnes à Fersen, comme par exemple la princesse de Lamballe et la duchesse de Polignac. Ce serait ignorer aussi les rigueurs de l’étiquette à Versailles qui ne laissaient aux souverains aucune vie personnelle, sinon dans leurs appartements privés où ils ne pouvaient pénétrer que seuls avec leur très proche famille. Enfin, l’ignoble procès qu’eut à subir la reine n’en fit nulle mention, alors qu’on y mentionna l’accusation d’inceste avec son fils à la prison du Temple.
Ainsi on peut dire que l’exercice d’apprentissage de son métier de reine, dans les pires circonstances qu’une souveraine eut à affronter en France, apprit à Marie Antoinette à achever en elle et même à parfaire, ce que sa mère Marie Thérèse n’avait fait qu’ébaucher. C’est en véritable Habsbourg- Lorraine qu’elle affronta aux côtés de son mari la tourmente révolutionnaire, en épouse et en mère chrétienne. Alors qu’elle approchait de la fin que l’on connaît, elle témoignait par toute son attitude que la vie de cour ne l’avait point corrompue, que la grâce du Christ ne lui avait pas fait défaut et que, sans jamais perdre sa dignité, elle allait boire le calice jusqu’à la lie à l’exemple de son mari.
D’où ma conclusion sur cette parole de Jésus dans cet autre passage de l’évangile que nous avons lu « Je ne suis pas descendu du ciel non pas pour faire ma propre volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. ». Nous savons qu’avant la chute de la royauté, elle eut quelques divergences de vues avec son époux sur la conduite à tenir. Mais elle se plia toujours finalement à sa volonté. À la mort de ce dernier, elle reçut cette volonté en leg, par la vertu des liens du mariage et sut se comporter en reine jusqu’au bout, se défendant avec la même habileté que Louis. Au fond elle aurait voulu en finir vite, car elle ne nourrissait aucune illusion sur son sort. Mais elle avait des devoirs à remplir. Le dossier d’accusation n’était autre que celui du roi, donc vide de toute charge. Mais il était épais en paperasses comme toujours dans ce genre de cas. Ses défenseurs voulurent donc du temps pour au moins examiner une partie de cet amas de documents. Le 13 octobre ils demandèrent à la reine de solliciter un délai de trois jours. Sa première réaction fut de refuser. Mais si l’on en juge par les termes utilisés dans sa demande écrite, elle se souvint de Louis XVI consentant à signer l’appel au peuple après sa condamnation à mort, et ce afin d’utiliser tous ses moyens de défense. Voici ce qu’elle écrivit « Je dois à mes enfants de n’omettre aucun moyen nécessaire pour l’entière justification de leur mère. Mes défenseurs demandent trois jours de délai, j’espère que la Convention les leur accordera. ». Elle n’obtint rien et affronta ce procès durant deux longues journées épuisantes. Le sommet de l’horreur fut atteint avec l’accusation d’inceste soulevée par Hébert, alors que le président Herman et même Fouquier Tinville, sentant l’ineptie et même la dangerosité d’une pareille accusation l’auraient volontiers oubliée. La reine sût contenir son indignation tout en la manifestant par son célèbre « j’en appelle à toutes les mères. ». Et vers 4 h du matin elle fut condamnée à mourir le jour même.
C’est au terme de ces deux jours éprouvants qu’elle écrira son célèbre testament sous forme d’une lettre à sa belle-sœur Madame Elisabeth. Elle lui confie ses enfants, mais aussi et surtout y affirme, tout comme le roi, son innocence et sa foi catholique. La foule n’aura pas droit à une déclaration publique du haut de l’échafaud, mais seulement le silence de celle qui tout au long de son procès ne voulut être que la femme de Louis XVI. Elle sait qu’elle doit partager son sort. Mais cela n’est exprimé que dans le début de sa lettre- testament.
En ce jour de mémoire, gardons le souvenir d’une reine qui sut grandir par l’exercice du pouvoir. Donnée à la France comme gage de paix, elle fut emportée par la folie révolutionnaire et devint malgré elle sujet de discorde. Mais sa montée vers la mort laissa entrevoir que tout n’était peut-être pas fini avec les Habsbourg-Lorraine. En 1917, son lointain parent le dernier empereur d’Autriche, Charles, fut avec le Pape Benoît XV le seul grand dirigeant européen à vouloir arrêter la tuerie de la guerre de 1914-1918. Il hérita ainsi du charisme de paix dont Marie Antoinette avait été chargée, mais en vain ! Lui aussi échoua parmi les hommes. Comme elle, il perdit sa couronne et la gloire mondaine. Il mourut jeune à 35 ans - Marie Antoinette en avait 38- et dans la pauvreté. Mais il emporta avec lui la reconnaissance de ses soldats, dont un certain Woytyla qui, en signe de reconnaissance envers son empereur, appela son fils Charles, Karol en polonais. En 2004, Karol devenu Jean Paul Il béatifiait Charles 1er d’Autriche, et consacrait ainsi par la couronne céleste l’œuvre de paix d’un Habsbourg-Lorraine qu’avait inaugurée Marie Antoinette en Europe .